Le premier bouquet floral aldéhydé voit le jour en 1921. Fruit de la collaboration entre, Mlle Chanel et Ernest Beaux, un parfumeur d’origine russe. Coco voulait un parfum qui sente la femme. Beaux choisit de composer un bouquet floral abstrait, capiteux, vivifié par une surdose d’aldéhydes. L’effet est aussi éblouissant qu’inattendu. Il faut dire que le parfumeur russe a de l’audace : les aldéhydes aliphatiques, aussi appelés aldéhydes gras, n’ont jamais été utilisés auparavant dans ces dosages. Certains parlent d’une erreur de pesée due au laborantin du parfumeur, peut être des jaloux ?
Car Beaux a composé ce qui deviendra le parfum le plus célèbre du monde.
Un parfum ?
Que Dis-je?! Non, un mythe.
Le N° 5 de Chanel.
Prononcez ces quelques mots devant une assemblée de femmes, et vous obtenez, invariablement, un soupir émerveillé.
Mais, abandonnons le parfum de Marilyn et penchons-nous un peu sur ces étranges matières premières que sont les aldéhydes aliphatiques, on pourrait presque, d’ailleurs, les appeler « antipathiques » tant leur odeur est désagréable. Lorsqu’on les sent seuls, ils sont violents, gras, parfois rances. Dans la bonne dilution et surtout bien accompagnés (agrumes, fleurs) ils ont un effet magique, il donne de l’envol, de la légèreté et une radiance exceptionnelle. Bref, ils sont au parfum ce que les bulles sont au champagne..
L’Aldéhyde C10 sent l’orange, c’est un peu normal, puisqu’on en trouve dans cette dernière. L’aldéhyde C11 (insaturé) sent la bougie qu’on éteint, il est rance mais en dilution a des facettes légèrement rosées et citronnées. Il m’évoque à haute concentration… une vieille boîte d’anchois ouverte dans laquelle flotteraient encore des résidus d’huile !! Le C12 lauric est un peut plus agréable, savonneux, il rappelle l’atmosphère d’une buanderie, ou on repasserai du linge. Le C12 mna est plus ambré, presque animalisé mais sent aussi le grand air. Il y a un lien entre les aldéhydes et l’air. Quand quelqu’un revient d’une longue journée à l’extérieur je perçois, parfois, cette odeur typique que je relie toujours au vent, au soleil et à la peau humaine.
Dans la foulée de Beaux, les parfumeurs vont largement utiliser ces matériaux et les beaux parfums se succèdent. En 1927, Arpège, la même année, L’Aimant de Coty, puis, en 29, Guerlain, sort « Liu ». Dans les années 30, le genre s’étiole, parfums festifs, les aldéhydés n’aiment pas beaucoup les temps de crise.
Parallèlement, une autre branche de parfums puise à la sève créatrice du N°5, celle, plus sombre, plus confidentielle aussi, du chypre aldéhydé. Avec le « Crêpe de Chine » de Millot, Jean Desprez est le premier à tenter cette alliance hasardeuse et comme le dira plus tard, Edmond Roudnitska : « les aldéhydes gras faisaient une entrée fracassante dans un milieu qui leur était particulièrement hostile ». Les descendants, moins nombreux, mais tout aussi célèbres que leurs cousins floraux, ont pour nom : Zibeline de Weil (1928), Carnet de bal de Révillon (1937), Nuit de Lonchamp de Lubin (1937), malheureusement tous disparus aujourd’hui. Un seul parfum de cette époque traverse, tant bien que mal les années ; Ma Griffe de Carven (1946), composé par Jean Carles.
Dans les années soixante, on redécouvre le floral aldéhydé avec des parfums comme Madame Rochas 1960, Calèche d’Hermes 1961, Climat de Lancôme 1967, Calandre de Paco Rabanne 1969 et Rive Gauche d’YSL 1971.
Dans le genre, quels sont vos préférés ?
Au risque de passer pour une iconoclaste (au mieux)... je trouve assez paradoxal que Mademoiselle Chanel voulusse un "parfum qui sente la femme", et que le résultat en soit le N°5 - vu, précisément, l'odeur "fer à repasser" de certains aldéhydes, l'association est fâcheuse! ;)
J'avoue avoir encore du mal à apprécier cette famille... J'aime Calèche pour raisons sentimentales, mais dans le genre, ma préférence va plutôt à Vega de Guerlain ou à Baghari de Piguet. Je n'ai pas encore senti de version vintage du N°5, mais il paraît qu'il était merveilleux. Sa version actuelle m'échappe encore, même si je m'y fais de plus en plus...
Au fait, je suis convaincue que la majorité des ventes du N°5 sont réalisées sur la seule base de sa légende... ne dit-on pas que dans les tests en aveugle, ses résultats sont lamentables?
Rédigé par : Six' | 04 septembre 2008 à 17:35
Six ! Dans l’imaginaire collectif de 1921, la femme était peut être encore très liée au fer à repasser et aux odeurs de buanderie ;)
Cela dit, les aldéhydes ont aussi des points commun avec la peau… Quant à savoir si le N°5 sent la femme, c’est une autre histoire, mais ce qu’on peut dire c’est que beaucoup de femmes sentent le N°5 puisqu’il reste au top des ventes. Quant à son résultat médiocre dans les tests en aveugle, je suis perplexe, pour moi le N°5 est et reste un chef d’œuvre, après c’est sur, qu’il a atteint ces sommets aussi parce qu’il est soigneusement marqueté, mais, médiocre, il n’aurait pas tenu aussi longtemps, j’en suis persuadée. Certainement qu’à l’époque avec la civette, les muscs nitrés, le santal de qualité il devait être encore plus beau, mais je le trouve, surtout en extrait, encore sublime. Ce n’est pas du tout un parfum que j’aime porter, je préfère Climat ou, comme toi Baghari, mais je ne peux m’empêcher de l’admirer.
Rédigé par : Nathalie | 04 septembre 2008 à 17:58
Oh je ne dis pas qu'il est médiocre, du tout! C'est, absolument, un chef d'œuvre, et c'est pour ça qu'il s'est imposé d'emblée, alors qu'il était révolutionnaire à l'époque...
Seulement, depuis, sa légende contribue beaucoup, je pense, à ses ventes, alors même que cette famille olfactive n'est plus ni révolutionnaire, ni même à la mode, depuis... On sait que le N°5 est chic, que le N°5 est d'un goût parfait, c'est le parfum de Marilyn (après tout, Creed consacre l'essentiel de son marketing à souligner que telle ou telle de leurs références était "le parfum de XYZ", c'est que ça doit marcher!), c'est même LE parfum tout court... il doit souvent être choisi "par défaut", pour être sûr(e) de ne pas se tromper. Et une partie au moins de ceux qui le choisissent ne l'aiment pas en test en aveugle... Ca me rappelle les vieux tests en aveugle de Coca et de Pepsi, tiens! ;)
Sinon, Magie... l'ancienne version, ou la réédition dans la Collection? (je m'intéresse beaucoup - trop- à cette Collection, ces temps-ci... mon pauvre budget!)
Rédigé par : Six' | 04 septembre 2008 à 21:07
depuis des années que je m'interesse au parfum, j'avais toujours évité le n°5, pour moi un parfum trop marketing, on le voyait trop dans les pub, et n°5 par ci et n°5 par là...bref, tout pour faire passer mon chemin. A la suite de mes lectures sur internet je m'y suis interessée recemment, seul l'extrait m'a plu (je parle de l'extrait vendu actuellement), je l'ai trouvé beau, racé, féminin...j'ai presque failli l'acheter puis j'ai lu que la version actuelle n'etait qu'une pàle copie de l'original, je me suis donc procurée un extrait dit "vintage"...et la j'ai pu comparer en mettant une goutte de mon "vintage" et une goutte de l'extrait actuel dont la vendeuse avait bien voulu me faire un mini echantillon.
Et bien, celui que j'avais trouvé superbe et racé (actuel) me semblait bien fade face a l'ancienne version, il avait perdu de l'epaisseur, de l'etoffe, du moelleux..il manquait d'un peu d'animalité..comme si on l'avait dilué...bien sur,si je n'avais pu comparer, j'aurais craqué sur la version actuelle, je la trouve tres belle quand meme mais maintenant, il lui manque ce petit qqchose qui donne un goût d'inachevé...
celà m'a fait la meme chose avec les 2 extraits de shalimar
Rédigé par : vero59 | 06 septembre 2008 à 17:03
Dear,
That post was great... merci, mon amie
Cris
Rédigé par : Cris Rosa Negra | 01 octobre 2008 à 08:01