En 1944, Robert Piguet décide de lancer un parfum afin de mettre en valeur sa nouvelle collection. Pour l’aider à concrétiser ses envies parfumées « le plus parisien des couturiers », (en réalité il est suisse) s’attache les services de Germaine Cellier, alors employée chez Roure. Le couturier et le parfumeur partage la même passion pour l’Art. Très impliqués dans la vie culturelle de leur époque, ils y puisent certainement une partie de leur inspiration. La synergie créatrice de ces deux artistes formidablement doués, allait donner naissance à un parfum hors du commun. Inspiré des mers lointaines sillonnées par de cruels pirates, Bandit est un fabuleux chypre cuir.
Il est quelque part ironique, qu’un des parfums, parmi les moins aimables, soit l'oeuvre d' une femme, mais, Germaine Cellier n’est pas une femme ordinaire. Souvent décrite comme grande et belle, elle est surtout dotée d’un sacré tempérament. Ce dernier explique, peut être, l’audace et le tranchant de ses compositions. La bordelaise n’hésite pas à saturer ses créations de matières premières parfois rugueuses et brutes.
D’ailleurs, le départ explosif de Bandit surprend. Sur un fond de fumée, l’armoise camphrée, surdosée et ouvertement masculine, crée une plage de couleur incongrue, inquiétante, comme une mer verte où l’on devine de traîtres courants sous-marins. Dans ces ressacs aromatiques violents palpitent déjà des notes chaudes et animales qui s’assombrissent rapidement à la manière d’un orage.
Souvent, pour le nez qui découvre ce paysage tourmenté, la première réaction est un prompt mouvement de recul, presque immédiatement suivi d'une forte curiosité. Cette répulsion initiale rappelle la stupeur que l’on éprouve, enfant, lorsqu’on nous fait goûter pour la première fois à une gorgée de vin âpre. Petit à petit, cette âpreté, cette rudesse va devenir un plaisir recherché.
Le Bandit contemporain est certainement plus conciliant que son ancêtre des années quarante. Ses notes animales ont été fortement domptées. Les bases utilisées par Cellier, disparues et reconstituées tant bien que mal, l’Iso Butyl Quinoléine - une matière première à l’odeur agressive de cuir cru - moins dosé, entouré différemment, ne ressort plus autant. Les dents du fauve ont été limées, mais le vieux lion est encore capable de faire peur.
Il peut aussi donner de la tendresse comme on le devine à une légère trace de fleurs, douce, persistante, mêlée aux notes sèches du fond. Ce cœur floral, blanc et soyeux, capturé dans le cuir, donne à Bandit une touche d’élégance et de sophistication ; un vernis de civilisation. Malgré tout, la féminité de Bandit reste dominatrice. Cette incroyable décoction d’herbes, de fleurs, de cuir, de fumée et de bois donne, à celle qui le porte, un regain d’assurance; si Fracas, des même créateurs, est le parfum d’Eve la tentatrice, Bandit est celui de Lilith, la femme démon, celle qui, au grand dam d’Adam, se suffit à elle-même.
En bref
Lancement : 1944
Créateur : Robert Piguet
Parfumeur : Germaine Cellier
Famille : Chypre Cuir
Notes : Tête : armoise, bergamote, gardénia, aldéhydes Cœur : jasmin, iris, œillet, rose, Fond : castoreum, IBQ (iso-butyl-quinoléine) patchouli, vetiver, myrrhe
Descendants : Cabochard de Grès (1959) et Aramis d’Aramis (1966) tout deux du parfumeur Bernard Chant
Un parfum que j'ai adopté récemment, qui reste assez doux pour un chypre cuir et d'une tenue irréprochable.
Rédigé par : Charles de Lille | 14 décembre 2008 à 18:22
Charles, c'est vrai que Bandit est finalement assez agréable à porter. Il me semble que désormais ce sont les hommes qui le plébiscitent.
Rédigé par : Nathalie | 16 décembre 2008 à 06:55