Quand j’étais enfant, je ne savais pas qu’il y avait des gens qui concevaient des parfums. Pour moi, ces derniers s’achetaient dans les parfumeries et je pensais que les personnes qui les vendaient et bien, les fabriquaient aussi. Je ne savais pas trop comment d’ailleurs et cela ne m’intéressait pas le moins du monde. Parallèlement nous avions dans la famille une cousine éloignée qui était « Nez » chez Givaudan. Je comprenais à l’air que prenaient les adultes pour parler de cette personne, que je n’ai jamais rencontrée, qu’elle exerçait une profession étrange ou en tout cas fascinante. Par ailleurs, le destin tragique de cette femme, où l’amour et la mort se mêlaient, ajoutait encore une aura teintée de romantisme à son métier.
J’ai mis des années à relier les parfums dans leurs beaux flacons, ou encore les gels douches ou les dentifrices, à cette quasi-légende familiale : le Nez de chez Givaudan.
C’est pour cela que plus tard, quand je rencontrais pour la première fois un parfumeur, c’est avec étonnement que je découvris une jeune femme blonde aux yeux bleus, pas maquillée et habillée tout simplement. Un jour où il faisait très chaud je perçus même une légère odeur de transpiration quand pour m‘expliquer quelque chose elle se pencha vers moi. Stupeur, les nez étaient des êtres humains comme les autres ! A quoi je m’attendais ? Je ne sais pas mais en tout cas pas à quelqu’un qui puisse transpirer quand il fait chaud. Plutôt à une espèce de magicien possédant un pouvoir supra-normal, cadeau de bonnes fées ou de sorcières maléfiques. Croisement improbable entre l’horrible Jean-Baptiste Grenouille et une star de cinéma.
Depuis j’ai croisé d’autres parfumeurs et je me suis rendue compte que non seulement ils étaient des êtres humains mais qu’en plus ils en avaient la diversité. Ce qui fait leur différence finalement c’est la rareté de leur métier qui n’est d’ailleurs sanctionné par aucun diplôme. Pourquoi je vous raconte tout ça ? Parce que je voudrais dans les billets à venir essayer de répondre à des questions que je me pose depuis quelque temps, par exemple le rapport entre la créativité et la maîtrise de la technique ou la place du parfumeur dans la paternité ou la maternité d’une œuvre si tant est que l’on peut considérer les parfums comme des œuvres d’Art.
Je serais curieuse d’entendre vos avis. Pour vous, qui sont les parfumeurs ? Est-ce que vous pensez que, Serge Lutens par exemple, est un parfumeur ? Est-ce que pour vous les parfumeurs sont juste des techniciens qui ont besoin d’être guidés dans leurs créations ou sont-ils, du moins pour certains des artistes à part entière?
Pour ma part, je suis intimement convaincue que les parfumeurs sont des artistes. Des personnes douées d'une sensibilité particulière, d'une propension à vibrer, à être ému par les odeurs. Des personnes qui ont aussi la capacité de pouvoir transmettre et partager leur émotions. La technique est un outil, mais ne remplacera jamais l'inspiration, l'envie de créer, l'habilité à innover et à se réjouir. Il s'agit bien d'une passion (et non d'un boulot de cardre supérieur comme les autres) et pour certains, d'un don. Je pense que les gens qui on le nez "ouvert" et fin sont plus nombreux qu'on ne le pense mais que tout le monde ne peux pas créer. Il faut pour cela, un juste équilibre entre maîtrise des techniques et émotions (comme dans tous les arts). Je ne sais pas trop quoi penser de Serge Lutens. Cet homme maîtrise sur le bout des doigts son domaine, et il est incontestable qu'il est doué d'une grande sensibilité. Mais pourrait-il travailler avec tant de savoir-faire dans d'autres registres?
Quoiqu'il en soit, les parfumeurs sont des êtres humains comme tout le monde bien sûr, mais comme tout le monde, il y a un domaine ou ils sont meilleurs que les autres. Et comme dans tous les Arts il y a les bons et les virtuoses...
Rédigé par : Poivrebleu | 23 novembre 2007 à 23:13
Il en va de même avec toutes les personnes qu'on a tendance à trop admirer (chanteurs, acteurs, hommes politiques et même le pape :-).
Quand on les rencontre, on est souvent déçu par leur "simple" apparence humaine.
Je crois que les parfumeurs sont loin d'être tous des artistes. Il y a effectivement beaucoup de techniciens, d'exécutants, de tâcherons.
Une poignée seulement peuvent être considérés comme des ARTISTES. Pas spécialement à cause de leur talent d'ailleurs, mais simplement parcequ'ils créent des parfums en totale LIBERTE.
Rédigé par : Le critique de parfum | 26 novembre 2007 à 10:25
il ne faut pas toujours confondre 'nez' et parfumeur. le 'nez' est un technicien qui a une formation de chimiste au niveau olfactif. le 'nez' peut-etre parfumeur bien entendu, autrefois les Guerlains, Ernest Daltroff pour Caron, aujourd 'hui J.C Ellena qui a carte blanche chez Hermes.
l 'une des plus belles collaborations 'nez' et parfumeur c 'est Chris Sheldrake et Serge Lutens.
quand Serge Lutens a cree Feminite du Bois il avait convoque au Maroc trois 'nez', Pierre Bourdon, Chris Sheldrake bien sur et Maurice Roucel. il leur a fait tester le bois de cedre sous toutes ses formes, sciure des ateliers d 'artisans, petits copeaux etc. bien que consideres comme les plus grands 'nez' aucuns d 'entre eux connaissaient cette matiere. Feminite du Bois c 'est une formidable collaboration entre un parfumeur visionnaire et des 'nez' talentueux.
lorsque Frederic Malle donne carte blanche a certains 'nez', on est decu parce que souvent il leur manque cruellement de direction, d ' influences intellectuelle et culturelle. de meme lorsque JC Ellena est alle trois fois en Egypte pour creer Un Jardin sur le Nil, la encore c 'est decevant, on se retrouve au final avec une eau fraiche hesperidee bien execute mais tres loin de l 'esprit et de l 'authenticite d 'un parfum arabe qui n 'a rien a voir avec des eaux de toilette a la francaise.
Rédigé par : Aline et Valcour | 29 novembre 2007 à 22:54
--> Poivre Bleu "Je ne sais pas trop quoi penser de Serge Lutens. Cet homme maîtrise sur le bout des doigts son domaine, et il est incontestable qu'il est doué d'une grande sensibilité. Mais pourrait-il travailler avec tant de savoir-faire dans d'autres registres?"
Serge Lutens a plus de 45 ans d 'experience professionnelle, je suis surprise que vous ne connaissez pas son parcours. il a ete directeur artistique chez Dior et Shiseido, il a touche pour ainsi dire a tout, maquilleur, photographe et cineaste (il a realise toutes les pubs Shiseido des annees 80 et 90 et il est le realisateur de spots publicitaires), parfumeur, directeur artistique aujourd 'hui il lance sa gamme de maquillage qui connait un fort succes en amerique.
c 'est egalement un homme de Lettres, il evoque souvent la litterature et aime citer ses auteurs favoris, Jean Genet, Pasolini...(des auteurs subversifs bien sur), un homme de cultures occidentale et arabe puisqu 'il vit les trois quart de l 'annee au Maroc.
pour en savoir plus sur Serge Lutens:
http://paris.blog.lemonde.fr/category/serge-lutens-architecte-de-la-mode/
http://www.teaser.fr/~bgueudet/actualites/entretien/bgueudet.htm
http://www.luxuryculture.com/materials/media/article/pdf/00/00/0000863
Rédigé par : Aline et Valcour | 29 novembre 2007 à 23:06
Aline,
Pour ce qui est de Serge Lutens, je connaissait ses talents de maquilleurs et j'avait depuis longtemps entendu parler de lui comme d'un homme polyvalent et curieux. Lorsque je parle de registre, j'entendais surtout les registres parfumés, Serge Lutens travaillant beaucoup sur les senteurs de la culture arabe et méditéranéenne.
Rédigé par : Poivrebleu | 30 novembre 2007 à 02:21
Poivre Bleu, je suis tout à fait d’accord avec vous, pour moi aussi la part artistique de ce métier me parait évidente sinon primordiale. La technique ne remplacera jamais l’inspiration, vous avez raison, mais cependant sans la technique l’inspiration aura du mal à s’incarner dans une œuvre, elle vient et elle repart dans son immatérialité parce que elle ne pourra pas être incarnée, saisie, au travers d’un support qui peut être celui des odeurs ou encore celui des sons ou des mouvements. Tous les grands artistes maîtrisent parfaitement la technique, cela dit le contraire n’est pas toujours vrai, maîtriser parfaitement la technique d’un Art ne fait pas de vous un artiste à part entière, il s’agit bel et bien, comme vous le dites, d’un subtil équilibre entre les deux. Serge Lutens pour moi est un artiste à part entière, il s’exprime au travers de différents support, pour ce qui est de la photographie, de l’art pictural, il maîtrise parfaitement la technique et je suis toujours bouleversée par l’esthétisme de ses photos pour Shisheido mais pour ce qui est de la parfumerie il crée avec l’aide de parfumeurs… Serge Lutens sans la maitrise technique des parfumeurs n’aurait pas pu faire ces parfums… Il est vrai aussi qu’il reste cantonné à une certaine parfumerie « orientalisante » mais c’est ce qui l’inspire et c’est l'univers de la marque...
Rédigé par : Nathalie | 30 novembre 2007 à 15:36
Le Critique de Parfum, Oui quand on rencontre quelqu’un qu’on admire trop on est souvent déçu de voir qu’il s’agit juste d’un être humain, mais après tout c’est cette humanité et cette sensibilité dans laquelle on peut se retrouver qui se reflète et qui nous touche dans le travail de la personne. De toute façon je ne suis pas pour le culte de la personnalité, j’admire certaines personnes, bien sur, mais je m’attache toujours à leur travail plutôt qu’à leur vie, je dirai pour ma part que la vie des artistes, que cela soit des parfumeurs, des poètes ou des chanteurs m’indiffère profondément, je ne lis presque jamais de biographie ou d’auto-biographie, pour moi le message est ailleurs, dans le parfum ou dans la musique, dans un livre, d’esprit à esprit, sans relais dans la réalité. Cela ne veut pas dire que je suis indifférente aux parfumeurs que j’ai rencontré, je me suis intéressée à leur personne au delà de leur activité. Pour ce qui est de créer en liberté, je ne sais pas s’il y aujourd’hui un parfumeur réellement libre, oui, peut être, celui qui ne voudrait pas vendre ses créations, je ne sais pas et on pourrait en débattre pendant des heures…
Rédigé par : Nathalie | 30 novembre 2007 à 15:37
Aline, Les parfumeurs ou les nez (pour moi c’est la même chose, le parfumeur ou le nez étant à mon avis, celui qui met sur papier, qui écrit, une histoire avec des noms suivi de chiffres, en d’autres termes celui qui formule) n’ont pas tous une formation de chimiste. D’ailleurs Jean-Claude Ellena que vous mentionnez n’a pas étudié la chimie…
Tout à fait d’accord avec vous sur Féminité du Bois, un parfum splendide, construit autour du Cèdre de l’Atlas, c’est, en effet, un bel exemple de collaboration fructueuse ou « l’équipe créatrice » met au monde un parfum, porte un projet et le nourrit, je trouve que quand la parfumerie s’exprime de cette manière elle n’a absolument rien à envier aux autres arts. Je dirai quand même que le cèdre Atlas est bien connu en parfumerie, même s’il n’avait jamais été utilisé de cette manière dans un parfum. J’ai moi-même des boîtes du Maroc et des objets sculptés dans ce bois odorant et j’ai peine à croire que ces parfumeurs expérimentés ont été « initiés » au bois de cèdre de l’Atlas pas Serge Lutens… Peut être sous sa forme brute mais même comme cela j’ai des doutes…
>>>Aline a dit : « lorsque Frédéric Malle donne carte blanche a certains 'nez', on est decu parce que souvent il leur manque cruellement de direction, d' influences intellectuelle et culturelle.>>> Les artistes en général sont ce que j’appelle « des êtres qui cherchent », ils sont curieux et même je dirai, avides, de connaissances, de culture, de sensation, ils boivent littéralement le monde et la plupart des parfumeurs ont de fait, une grande culture et une grande sensibilité qui leur donnent une certaine porosité au monde et à l’air du temps.
Quant aux créations des différents parfumeurs « édités » par Fréderic Malle, c’est une question de goût, je sais que vous les considérez plutôt comme des exercices de style, mais je pense que la plupart vont bien au-delà de ça…
Pour ce qui est de Jean-Claude Ellena je vous cite un passage de son dernier livre : Le Parfum aux éditions Puf, il s’y exprime justement sur la création d’un Jardin sur le Nil : >>>(…) Bien avant cette promenade, j’avais rejeté les senteurs de jasmins, de fleurs d’oranger, d’épices, odeurs qui emprisonnent l’Egypte dans des senteurs mythiques d’un Orient imaginé par l’Occident. Ce que je cherchais était une entrée insolite pour raconter l’histoire de ce jardin. L’odeur des mangues vertes devenait le signe et symbolisait les îles-jardins du Nil. Plus tard, j’ai appris que ce fruit en Egypte donnait lieu à une fête annuelle.<<< Il s’agit bien ici d’une véritable démarche artistique, au travers d’une émotion qui le saisit dans une allée de manguiers en Egypte, lorsqu’il sent le lait frais s’échappant d’une mangue. Ellena raconte, au travers de sa sensibilité, une histoire de l’Egypte, la sienne, celle qu’il a ressenti. Il transforme cette émotion, cette inspiration en un parfum qu’il crée avec la matière de son esprit, loin des clichés. Après on aime ou on aime pas, (personnellement je n’aime pas trop un jardin sur le Nil) mais la démarche artistique est là et elle est sincère. Chacun a son écriture et chacun essaie de l’exprimer dans un équilibre subtil en prenant en compte les différents cadres et contraintes comme celle imposée par le brief, par l’influence des évaluatrices, ou les réglementations, la marque et son histoire, le marché, les tendances tout en essayant de rester créatif. Bravo et merci à tous les parfumeurs qui réussissent malgré toutes ces limites et ces contraintes, ces agacements et ces incompréhensions à nous offrir encore des parfums qui sortent des sentiers battus.
Rédigé par : Nathalie | 30 novembre 2007 à 15:39