Encore un beau texte ou ce lien si particulier de l’odorat avec la mémoire est évoqué. Robinson naufragé triste mais déterminé explore sa nouvelle demeure, l’île qu’il a baptisée Speranza. Il y rencontre, miraculeusement conservés dans une odeur, tous les lundis matin de son enfance …
« Hier, en traversant le petit bois qui précède les prairies de la côte sud-est, j’ai été frappé en plein visage par une odeur qui m’a ramené brutalement - presque douloureusement - à la maison, dans le vestibule où mon père accueillait ses clients, mais le lundi matin, jour précisément où il ne recevait pas et où ma mère aidée de notre voisine en profitait pour astiquer le plancher. L’évocation était si puissante et si incongrue que j’ai douté une fois de plus de ma raison. J’ai lutté un moment contre l’invasion d’un souvenir d’une impérieuse douceur, puis je me suis laissé couler dans mon passé, ce musée désert, ce mort vernissé comme un sarcophage qui m’appelle avec tant de séduisante tendresse. Enfin l’illusion a desserré son étreinte. En divaguant dans les bois j’ai découvert quelques pieds de térébinthes, arbustes conifères dont l’écorce éclatée par la chaleur transsudait une résine ambrée dont l’odeur puissante contenait tous les lundis de mon enfance. »
Vendredi ou les limbes du Pacifique de Michel Tournier
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