Le dépaysement nous libère de l’endormissement de nos sens généré par la routine. Voyageons un peu aujourd’hui grâce au poète Pablo Neruda. Une nuit mystérieuse traversée de chants et d’odeurs dans une île qui s’appelait encore Ceylan :
« Pas à pas je découvris l’île. Une nuit je traversai tous les faubourgs obscurs de Colombo pour assister à un dîner mondain. D’une maison dans l’ombre s’élevait la voix d’un enfant ou d’une femme qui chantait. Je fis arrêter mon rickshaw. Arrivé à deux pas de l’humble seuil je fus surpris par une odeur qui est celle, caractéristique, de Ceylan : un mélange de jasmin, de sueur, d’huile de noix de coco, de frangipanier et de magnolia. Des visages sombres, qui se confondaient avec la couleur et l’odeur de la nuit, m’invitèrent à entrer. Je m’assis en silence sur une natte, tandis que persistait dans l’obscurité la mystérieuse voix humaine qui m’avait incité à m’arrêter, voix d’enfant ou de femme, tremblante et sanglotante, qui montai jusqu’à l’indicible, s’interrompait soudain, descendait pour devenir aussi obscure que les ténèbres, s’associait au parfum des frangipaniers, s’enroulait en arabesques et retombait brusquement de tout son poids cristallin, comme si le plus haut des jets d’eau avait touché le ciel pour se laisser choir ensuite parmi les jasmins.
Je demeurais longtemps immobile, livré au sortilège des tambours et à la fascination de cette voix, puis je repris ma route, grisé par l’énigme d’un sentiment indéchiffrable, d’un rythme dont le mystère émanait de la terre entière. Une terre sonore, enveloppée d’ombre et de parfum. »
Pablo Neruda, extrait de J’avoue que j’ai vécu
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