Aujourd’hui il pleut, une pluie toute douce et tranquille qui endort et me plonge dans un état de rêverie. Je pense à d’autres jours de pluie.
Un soir de solitude à Grasse, j’entends par la fenêtre entrouverte une pluie d’août. Le martèlement des grosses gouttes toute gonflées d’orage est assourdissant. I. est à Londres pour une semaine et l’appartement sans elle est triste. Les grondements sourds du tonnerre s’approchent et la main menaçante du vent secoue les volets de plus en plus fort. Je ferme la fenêtre au moment où les premiers éclairs illuminent le jardin. Je hausse les épaules, l’orage ne me fait pas peur.
Rainy night in Georgia - "Ray Charles"
Depuis quelques jours, je sais que mes amis vont partir. Je ne m’attendais pas à ce que je considère comme une défection, presque une trahison. On s’était embarqué tous les trois dans cette aventure, solidaires et avec la promesse tacite de toujours s’entraider. Mais je ne suis pas en colère, tranquillement je vais me démaquiller avant d’aller dormir. Le miroir me renvoie l’image d’une jeune femme aux traits tirés, un peu trop blanche, un texte de Borges me vient à l’esprit ; « Il y a un vers de Verlaine dont je ne me souviendrai plus. Il est une rue toute proche déjà interdite à mes pas. Il est un miroir qui m’a reflété pour la dernière fois».
L’orage se déchaîne, je n’en ai jamais vécu de tel, la foudre tombe dans le jardin et les plombs sautent. Je n’ai ni bougie, ni lampe de poche et je suis glacée au fond de mon lit. Cette fois j’ai peur, la maison craque et gémit. Cette grande bâtisse, la dernière avant la forêt, possède une personnalité inquiétante. On raconte qu’autrefois dans le jardin planté de chênes, on a retrouvé le cadavre d’une femme assassinée. Dans la chambre d’à côté, le plafond fuit mais je n’ose pas me lever dans l’obscurité.
Comment et pourquoi, alors que j’avais une vie agréable et confortable, un bel appartement, un travail intéressant et gratifiant et que ma vie sentimentale prenait un nouveau départ, avais-je décidé de tout laisser tomber pour venir ici, à Grasse où me semblait-il, mon destin m’attendait. La réponse ne tarde pas et vient balayer le doute qui m’attristait ces derniers jours. Parce que quelque chose manquait dans cette vie tranquille et sûre, ce quelque chose ou plutôt ce quelqu’un, c’était moi. Cette pensée m’apaise. On est jamais seul lorsqu’on est avec soi-même, me disait toujours un homme que j’ai aimé.
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