En regardant ma mère gratter la terre du cimetière pour y mettre de nouvelles fleurs, je me suis dit qu’au lieu d’avoir peur de la mort je devais simplement apprendre à m’en servir pour mieux vivre. M’est revenu alors en mémoire un très beau passage tiré d’une nouvelle de Nicolas Bouvier « Le hibou et la baleine ». En rentrant chez moi, je me suis précipitée pour le relire :
« Quand je pense à cette « dernière douane » dont nous ne connaissons ni le lieu ni l’heure et dont les coutumes et tarifs me sont totalement inconnus, la curiosité l’emporterait presque sur la crainte. Sommes-nous vraiment venus au monde pour ce seul parcours qu’un proverbe des nomades Baloutch résume laconiquement : « naître, errer, mourir, pourrir, être oublié ? » La question reste ouverte. Je constate seulement que cette échéance, lorsqu’elle se rappelle à moi, me stimule plus qu’elle ne m’accable. Elle m’invite à ouvrir l’œil, à dresser l’oreille, à froncer le nez comme un lapin, à prendre au plus court, à ne rien perdre de la cambrure des femmes, de l’odeur du chèvrefeuille, du fumet d’un gigot ou du chant du loriot. Cet état si transitoire qui est le nôtre me rend omnivore et attentif.
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